L’université de Cambridge, futur leader de la "révolution des infrastructures" ?

Le "Cambridge Centre for Smart Infrastructure and Construction" (CCSIC, Centre sur les infrastructures et constructions intelligentes) qui a été lancé il y a un an, devient désormais opérationnel, avec l’organisation de ses premiers séminaires et conférences. Le 11 janvier dernier, le CCSIC, en collaboration avec l’Institution of Civil Engineers et la Royal Academy of Engineering a ainsi consacré une conférence à l’innovation dans l’industrie de la construction et l’utilisation des nouvelles technologies [1].

Doté de 17 M£ sur cinq ans (dont 10 M£ de l’EPSRC, Engineering and Physical Sciences Research Council - Conseil de recherche pour les sciences de l’ingénieur et la physique, et du TSB, Technology Strategy Board - Conseil stratégique pour l’innovation), le CCSIC est basé dans les locaux du département d’ingénierie de l’Université de Cambridge. Cet "Innovation Knowledge Centre" (IKC) ne se limite cependant pas simplement à l’ingénierie, mais rassemble des experts du département d’architecture, du laboratoire de calcul numérique et de la Judge Business School, et s’associe étroitement aux entreprises. Son objectif est assez ambitieux, ses fondateurs (dont le professeur Robert Mair) n’espèrent rien de moins que de démarrer une nouvelle industrie au Royaume-Uni, celle des infrastructures intelligentes.

Car il existe un besoin grandissant de mieux contrôler l’état des infrastructures et constructions qui deviennent âgées et que des millions de britanniques utilisent pourtant chaque jour. Ponts, tunnels, voies ferrées, beaucoup de ces infrastructures ont été bâties il y a plus d’un siècle, à l’époque victorien∆ne. Les tunnels du métro de Londres, par exemple, comportent des sections ouvertes en 1863, et continuent pourtant d’assurer le passage de plus de trois millions de londoniens par jour. Il est souvent difficile et très coûteux d’évaluer l’état de ces infrastructures anciennes, et pouvoir ainsi continuer de garantir un haut niveau de sécurité pour leurs usagés. Même des constructions plus récentes ne sont pas à l’abri de vieillissements prématurés qui, s’ils ne sont pas détectés à temps, peuvent déclencher des catastrophes, comme l’effondrement du pont I-35W sur le Mississipi près de Minneapolis en 2007, causant la mort de treize personnes. Des signes de corrosion importants ont été récemment découverts sur un pont rou∆tier suspendu construit en 1963 et qui traverse le Firth of Forth (Ecosse), accélérant les études pour bâtir un nouveau pont de remplacement dans les prochaines années.

Les équipes de chercheurs du CCSIC veulent s’attaquer à cette ignorance de l’état des infrastructures et développer des outils qui permettent de placer des anciennes, et nouvelles, infrastructures sous surveillance constante. Grâce à un ensemble de nouvelles technologies, les scientifiques estiment que nous sommes sur le point d’entrer dans une nouvelle ère, celle des infrastructures intelligentes. Dans un futur proche, il serait ainsi possible d’établir instantanément le diagnostic d’un bâtiment, pont, tunnel, route ou voie ferrée, par le suivi permanent d’autant de paramètres que les contraintes, pressions, températures, déplacements, degrés d’humidité, ou encore l’apparition de fissures.

Des micro-capteurs sans fils sont déjà développés et parfois inclus dans les nouveaux projets d’ingénierie ou lors de travaux de réfection (comme dans le métro de Londres). Le CCSIC envisage de développer une nouvelle génération de senseurs qui puissent être commercialisés d’ici 2016, afin de démocratiser leur usage. Mais ils veulent aller bien au delà.

Leur nouvel objectif est de se débarrasser des batteries, qui sont pour le moment nécessaires au fonctionnement de ces micro-capteurs. Le CCSIC s’intéressera de près aux "micro-electrical mechanical systems" (MEMS, microsystèmes électromécaniques) qui rassemblent sur des puces électroniques en silicium, des capteurs, mais aussi des micromoteurs et autres actionneurs. Dans cette optique, un capteur MEMS mesurant des contraintes dans un tunnel, pourrait être alimenté par une micro-turbine utilisant le vent de passage des trains. Les fibres optiques constituent le deuxième axe d’étude. En effet, en utilisant leurs propriétés physiques qui gouvernent la propagation des ondes lumineuses, il est possible de mesurer des déformations de la fibre, qui peuvent être reliées à des changements dans les contraintes et températures tout au long de celles-ci. Une telle technologie ne coûte que quelques centimes au mètre, grâce à la démocratisation de la fabrication de ces fibres. Les ingénieurs de Cambridge ont déjà travaillé sur cet usage des fibres, et en ont déployé à plusieurs reprises, notamment dans le cadre des travaux du projet Crossrail pour évaluer si la tour de Big Ben pourrait être affecté par le creusement des galeries sous Westminster.

L’équipe du CCSIC espère développer de nouvelles technologies qui puissent être très largement employées lors de nouvelles constructions. A terme, ces capteurs pourraient être incorporés directement dans les murs ou les poutres, et permettre un contrôle fin de l’évolution de l’infrastructure tout au long de sa vie.

Il existe un potentiel énorme pour de telles technologies qui, si elles sont déjà connues, ne sont pas encore suffisamment employées. Le Royaume-Uni l’a compris, et espère voir le CCSIC devenir un centre de recherche de référence en la matière au cours des prochaines années. Déjà, le centre se rapproche de partenaires situés dans les principaux marchés, aux Etats-Unis, mais surtout en Asie (Chine, Corée du Sud) qui voit un développement rapide des grandes infrastructures de transports. Celles-ci sont également souvent soumises à des risques naturels importants (comme les séismes), pour lesquels ces technologies de contrôle intelligent pourraient avoir des bénéfices énormes.


Pour en savoir plus :
- [1] Les présentations des différents intervenants sont disponibles ici : http://redirectix.bulletins-electroniques.com/mYUBT


Sources :
- Université de Cambridge, "Infrastructure revolution", 9/02/2012, http://www.cam.ac.uk/research/features/infrastructure-revolution/
- Cambridge Centre for Smart Infrastructure and Construction, http://www-smartinfrastructure.eng.cam.ac.uk/about


Auteur : Olivier Gloaguen

publié le 19/03/2012

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