Emissions de gaz à effet de serre par le transport maritime britannique

Début novembre, un mois avant le sommet de Durban sur le climat, le Committee on Climate Change, (CCC, Commission sur le changement climatique, voir encadré), a publié un rapport sur les émissions de gaz à effet de serre (GES) du transport maritime britannique, dont il estime que la contribution en 2050, dans le cadre des émissions permises par le Climate Change Act, pourraient atteindre 11% (18 sur 160 MtCO2). Il recommande en conséquence que ces émissions soient incluses dans les objectifs de 2050 (réduction de 80% des émissions par rapport à celles de 1990), ce qui n’est actuellement pas le cas (comme pour celles liées à l’aviation civile). Le Parlement britannique est tenu de décider d’inclure ou non ces contributions, au cours de l’année 2012.

Les émissions de CO2 dues au transport maritime ne comptent que pour 3% des émissions mondiales. Mais la croissance rapide du commerce conduit les chercheurs à estimer que ces émissions vont croître de 3% par an durant les quatre prochaines décennies. En 2050, la part du transport maritime pourrait alors atteindre 17 à 25% des émissions mondiales maximales qu’il faudrait s’autoriser pour maintenir le réchauffement en-dessous de 2°C. Il faut néanmoins noter que l’impact sur le réchauffement lié à ces émissions de CO2 semble, pour le moment, être contrebalancé par les rejets de soufre et de suies des navires qui, eux, tendent plutôt à refroidir le climat. Cependant, à cause des nouvelles règlementations environnementales, les nouveaux navires rejetant de moins en moins de ces composants, la contribution totale nette au réchauffement va devenir positive, ce qui est quelque peu paradoxal pour des règlementations visant à lutter contre le réchauffement du climat. Le Protocole de Kyoto a délégué à l’Organisation maritime internationale (OMI) la tâche d’obtenir un accord mondial de réduction des émissions de GES dans le domaine maritime, ce qu’elle n’a, pour le moment, pas pu atteindre.

Afin de déterminer quelle est la contribution du transport maritime du Royaume-Uni, le CCC a décidé de prendre en compte l’ensemble des émissions de CO2 liées au transport de biens depuis et vers les ports britanniques. Pour le CCC, il s’agit d’une question de responsabilité qui implique de ne pas uniquement considérer les émissions des navires sous pavillon britannique. Mais un tel choix signifie une grande complexité pour calculer précisément ces rejets de CO2 : par exemple, un navire de Chine à destination de Londres peut très bien faire plusieurs escales sur sa route pour charger et décharger des containeurs, ou encore, des biens à destination du Royaume-Uni peuvent transiter par plusieurs navires... Différentes approches sont donc possibles : de haut en bas, en estimant les émissions globales puis en les affectant par pays en fonction de macro-métriques comme le pavillon ou la part du commerce mondial. Cette méthode ne tient cependant pas assez bien compte de la complexité illustrée par les quelques exemples ci-dessus. Le CCC a donc pris l’approche inverse, de bas en haut, en calculant les émissions à partir de la distance parcourue par les navires et de l’intensité carbone des navires qui transitent par les ports britanniques (approche bien entendu complexifiée par des corrections afin de tenir compte de certains effets comme les navires non chargés). Le CCC arrive à l’estimation des émissions actuelles entre 12 et 16 MtCO2 par an, mais tout en n’excluant pas qu’elles puissent être bien supérieures.

Il est possible de réduire ces émissions à travers des solutions technologiques et opérationnelles :

- Technologiques : améliorer les systèmes de propulsion et les machines des navires pour augmenter leur efficacité, ainsi qu’utiliser des cerfs-volants tracteurs pour tirer parti de l’énergie éolienne ; protéger la coque ou la nettoyer plus souvent pour réduire la surconsommation liée à la friction sous-marine ; améliorer les technologies des chaudières.

- Opérationnelles : réduire la vitesse de route pour économiser du carburant ; utiliser des logiciels d’aide à la navigation indiquant aux navigateurs les routes les plus sûres et les plus économiques en combinant données météorologiques et voies de navigations ; réduire le temps d’attente des navires dans les ports et fournir de meilleures informations sur la congestion portuaire.

- Carburant : les biocarburants pourraient devenir économiquement viables, en fonction de leur prix relatif avec les carburants conventionnels, incluant un éventuel prix du carbone ; le gaz naturel liquéfié (GNL) a une intensité carbone plus basse par unité d’énergie que les fiouls classiques et pourrait propulser des turbines à bord des navires. Cependant, le GNL a une densité énergétique plus faible et requiert donc un plus grand volume de stockage.

- Navires plus grands : l’utilisation de navires plus grands permet d’obtenir une efficacité énergétique plus importante et donc de réduire les émissions par tonne de charge transportée. L’OMI estime que le tonnage des bâtiments pourrait s’accroître de 0,3 à 1,4% par an d’ici 2050, ce qui permettrait à l’efficacité énergétique de passer de 37,1 gCO2/tonne-mile à 34,6 gCO2/tonne-mile à l’horizon 2050.

L’ensemble de ces mesures permettrait de réduire les émissions de 70% en 2050 par rapport aux niveaux de 2007, mais des mesures comme la réduction de la vitesse risquent d’être difficile à faire appliquer.

Les émissions futures peuvent être évaluées selon plusieurs scenarios de croissance du commerce maritime, de technologies déployées sur les navires, de prix du carbone (voir figure 1), de l’efficacité énergétique ou encore du prix du fioul, tout en tenant compte du cycle long du renouvèlement de la flotte (les navires construits actuellement vont très certainement encore parcourir les océans du monde en 2040). Le CCC estime ainsi que les émissions britanniques atteindront probablement 18 MtCO2. Mais compte tenu des nombreuses incertitudes, ces émissions pourraient être situées entre 5 à 19 MtCO2.

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Figure 1 : Scénarios d’émission de GES par le transport maritime britannique 2006-2050
Crédits : CCC

Le CCC souligne le haut niveau d’incertitudes dans ses estimations et en tient compte dans les recommandations au gouvernement qu’il formule :
- inclure immédiatement les émissions liées au commerce maritime international dans l’objectif de 2050 et les budgets carbones associés ;
- les inclure dans l’objectif de 2050 et les budgets carbones, une fois que des progrès auront été réalisés sur la méthodologie afin de refléter plus précisément ces émissions ;
- les inclure dans l’objectif de 2050, mais dans les budgets carbone seulement une fois que les incertitudes auront été réduites.

Le directeur de la Commission, David Kennedy, a indiqué que le CCC donnera sa recommandation finale en mars 2012. Il appelle également le gouvernement à travailler avec ses partenaires européens pour accéder à des données plus fiables sur la consommation des navires transitant dans les eaux de l’Union européenne.

La question de l’intégration des émissions liées au transport maritime britannique, tout comme celles liées au transport aérien, est importante. En effet, ce sont deux secteurs où il est très compliqué de substituer un autre carburant aux dérivés du pétrole, et le fioul comme le kérosène seront sans doute encore brûlés par la plupart des navires et avions en 2050. Ainsi le transport maritime pourrait contribuer jusqu’à 25% des émissions de CO2 que nous pouvons nous autoriser si nous voulons limiter le réchauffement mondial à 2°C. De plus, comme le souligne le CCC, estimer ces émissions est complexe et les incertitudes sont très importantes. Si d’un côté les gouvernements pourraient (et sont) tentés de ne pas les inclure (du fait de ces incertitudes de mesure et de la très grande difficulté à obtenir un accord mondial dans ce domaine), ne pas le faire serait fausser complètement l’établissement des quotas autorisés pour lutter efficacement contre le changement climatique. Il faut donc reconnaître à ce rapport du CCC le mérite de faire le point sur la situation et clairement poser cette question de l’intégration des émissions du secteur maritime dans le calcul des budgets carbone.

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La Commission sur le changement climatique est un organe indépendant qui a été établi dans le cadre du Climate Change Act de 2008. Elle est chargée de conseiller le gouvernement britannique et les administrations dévolues dans l’établissement des budgets carbone qui fixent le plafond maximal d’émissions de GES autorisées pour le Royaume-Uni. Elle doit également vérifier le respect de ces budgets et plus généralement contribuer à préparer le pays au changement climatique.


Sources :
- Rapport du CCC, "The Review of UK Shipping Emissions", www.theccc.org.uk/reports
- Communiqué de presse, CCC, 3/11/2011


Auteur : Olivier Gloaguen

publié le 26/01/2012

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