Vers une privatisation des établissements de recherche du secteur public ?

Le gouvernement britannique a mis au coeur de sa stratégie la croissance économique durable ainsi que le désir de rééquilibrer l’intégralité de son économie, afin que les services financiers n’aient plus ce rôle dominant qu’ils ont à l’heure actuelle. L’objectif de cette nouvelle politique économique est d’atteindre une croissance forte, durable et équilibrée, distribuée équitablement à l’échelle du pays et entre les différentes industries. Si la recherche et l’innovation font partie intégrante de cette stratégie (voir l’article "La stratégie britannique d’innovation et de recherche pour la croissance"), la question est de savoir si les dépenses gouvernementales en matière de recherche et développement sont aussi efficaces qu’elles pourraient l’être et si les opportunités de transfert de technologie et d’exploitation commerciale des produits de la recherche sont maximisées. S’il est en effet reconnu que le Royaume-Uni se positionne très bien au début du cycle de l’innovation, sa performance est inférieure à celle de beaucoup d’autres Etats membres de l’Union Européenne en termes de rendement/commercialisation de l’innovation.

La décision de fermer le Forensic Science Service (FSS, Service scientifique médico-legal) à compter de mars 2012 a suscité la volonté de Chris Nicholson, directeur du groupe de réflexion CentreForum, de commissionner un rapport sur la performance des établissements de recherche du secteur public britannique (PSRE, Public Sector Research Establishments). Ce rapport, intitulé Getting better value from public sector research establishements (Valoriser le rendement des établissements de recherche du secteur public), a été rédigé par Quentin Maxwell-Jackson et publié en novembre 2011.

Les établissements de recherche gouvernementaux

Le gouvernement dépense actuellement 2,3 Md£ par an dans des établissements de recherche employant 20.000 personnes. Sur ces 2,3 Md£, 1,3 Md£ sont consacrées à des établissements de recherche détenus et gérés par le gouvernement (GOGO, Government owned government operated, 14.000 employés), le milliard restant étant consacré à des établissements détenus par le gouvernement et gérés par un sous-traitant (GOCO, Government owned contractor operated). De plus, approximativement 1 Md£ est dépensé pour un grand nombre d’instituts, de centres et d’infrastructures financés par les conseils de recherche.

Au cours des années 1990 et 2000, des actions ont été prises pour impliquer davantage le secteur privé dans la gestion et la possession de ces établissements de recherche du secteur public (PSRE). Ce rapport, à partir de cas d’étude concrets, analyse les résultats de l’implication du secteur privé dans la gestion et possession de ces PSRE comparativement à l’expérience d’établissements de recherche qui sont demeurés entièrement dans le secteur public. L’idée sous-jacente est bien évidemment de voir si l’implication du secteur privé permet d’améliorer l’efficacité et le rendement des établissements publics. Dix-sept PSRE sont considérés dans cette étude, sept ayant encore à l’heure actuelle le statut de GOGO.

Les GOGO considérés sont Animal Health and Veterinary Laboratories Agency (AHVLA, Agence des laboratoires pour la santé animale et vétérinaire), Centre for Environment, Fisheries and Aquaculture (Cefas, Centre pour l’environnement, les pêcheries et l’aquaculture), Defence Science and Technology Laboratory (Dstl, Laboratoire pour la science et la technologie de défense), Food and Environment Research Agency (Fera, Agence de recherche pour l’environnement et l’alimentation), Forensic Science Service, Health Protection Agency (HPA, Agence de protection de la santé) et Health and Safety Laboratory (HSL, Laboratoire de santé et sécurité). AHVLA, Cefas et Fera sont des agences exécutives du DEFRA (Department for Environment, Food and Rural Affairs, Ministère de l’environnement, de l’alimentation et des affaires rurales) tandis que le Dstl est associé au MoD (Ministry of Defence, Ministère de la défense)

Au nombre des GOCO, on note Atomic Weapons Establishment (AWE, Etablissement pour les armes atomiques), National Nuclear Laboratory (NNL, Laboratoire national nucléaire) et National Physical Laboratory (NPL, Laboratoire national de physique).

Enfin, sept des PSRE étudiés dans ce rapport ont été intégralement privatisés, certains dans un but non lucratif : Building Research Establishment (BRE, Etablissement de recherche pour la construction), Natural Resources Institute (NRI, Institut national des ressources), Transport Research Laboratory (TRL, Laboratoire de recherche pour les transports), et d’autres dans un but lucratif (AEA Technology, QinetiQ, TUV NEL et LGC, l’ancien laboratoire gouvernemental de chimie).

Leur rôle

Les PSRE se situent entre la science/recherche fondamentale universitaire et celle financée par les conseils de recherche d’une part, et la recherche et le développement industriel/commercial, d’autre part. Beaucoup de PSRE fournissent l’infrastructure nécessaire pour soutenir la mise en pratique des résultats de la recherche fondamentale pour le bénéfice du public.

L’ensemble des 17 PSRE couvre un vaste éventail de disciplines scientifiques et sont ainsi à même d’apporter l’expertise scientifique et technique nécessaire aux politiques publiques et décisions gouvernementales, sous la forme d’évaluations, de tests, propositions de réponses d’urgence et services de consultance auprès du gouvernement, de l’industrie et du public. La recherche conduite dans ces établissements est ainsi majoritairement appliquée.

Le rôle des PSRE est donc

1) d’effectuer des services d’analyses scientifiques/techniques et 2) d’apporter des éléments et des conseils opportuns, actualisés et impartiaux à l’intention des décideurs politiques.

Evaluation de leur performance

Pour évaluer la performance des PSRE, les réponses à deux questions ont été analysées :
- dans quelle mesure le gouvernement obtient de ces établissements les éléments qu’il devrait obtenir (qualité et bénéfices économiques étant pris en compte) ?
- quelles sont les performances financières de l’établissement ?

Il ressort de cette étude que tous ces établissements sont performants du point de vue de la qualité et des services d’analyses scientifiques/techniques effectués, et ce, indépendamment de leur statut. La différence majeure entre ces PSRE concerne leur performance financière et organisationnelle. Ainsi, le FSS par exemple (un établissement GOGO) a enregistré des pertes de chiffre d’affaires de l’ordre de 50 M£ en 2010 et l’établissement fermera ses portes en 2012. D’autres GOGO semblent engagés sur la même voie, confrontés à de substantielles baisses de financement du gouvernement et commençant ainsi à enregistrer des pertes financières. Les GOCO en contrepartie ont atteint leur objectif financier et enregistrent des bénéfices. Le laboratoire national de physique a ainsi, par exemple, réussi à augmenter ses revenus tiers (third party revenue) de 16% par an depuis 2004.

Les établissements privatisés à but non lucratif ont été confrontés à de sérieuses chutes de chiffres d’affaires ayant menacé leur existence (notamment dans le cas de NRI et dans une moindre mesure, BRE). Les établissements privatisés à but lucratif ont quant à eux enregistré une croissance conséquente depuis leur privatisation, notamment LGC, qui a atteint 800% de croissance et a permis la création de nombreux emplois au Royaume-Uni.

Les facteurs affectant la performance

Ils sont au nombre de trois : l’étendue des activités de transfert de technologie, la sur-dépendance au gouvernement et les contraintes opérationnelles liées au secteur public.

Si les PSRE publics (GOGO et GOCO) enregistrent chaque année des brevets et créent des spin-offs, il apparaît que ces activités de transfert de technologie ne sont pas au coeur même de l’organisation, à l’inverse des établissement privatisés, qui ont fait de ces activités le point central de leur stratégie de croissance. La liberté d’exploiter les connaissances techniques et scientifiques clés au coeur même du modèle économique de l’établissement, avec accès au capital nécessaire aux investissements stratégiques, n’est généralement pas disponible pour les laboratoires détenus et gérés par le gouvernement.

Les établissements privatisés ont été à même de diversifier leur clientèle très rapidement et largement (au-delà des services publics), et seront par conséquent moins affectés par les coupes budgétaires gouvernementales actuelles. Les GOGO, dépendants d’un seul client, le gouvernement, risquent quant à eux d’être très fortement affectés.

Enfin, les facteurs structurels, culturels et procéduriers associés à la gestion gouvernementale entravent bien souvent la fluidité des opérations dans le secteur public. Au nombre de ces facteurs, on dénote :
- lenteur du processus de prise de décision ;
- contraintes opérationnelles - restrictions budgétaires en termes de marketing, publicité ;
- culture - manque de focalisation sur le client, réticence à la prise de risque et réserve ;
- frais généraux trop élevés - dus à la complexité administrative, à la générosité des contributions pour la retraite et aux coûts élevés de licenciement ;
- contraintes politiques ;
- règles de comptabilité ;
- manque d’accès aux capitaux ;
- manque d’accès aux bonnes pratiques industrielles.

La clarté stratégique

La définition claire et précise de ce que le gouvernement attend d’un établissement de recherche est l’élément essentiel de la performance de celui-ci. Si la stratégie gouvernementale ou sa mise en application est confuse, la performance de l’établissement s’en voit affaiblie, tel que dans le cas du FSS.

Dans d’autres cas, l’importance de la qualité et de l’impartialité des conseils scientifiques/techniques n’a pas été suffisamment reconnue. Dans le cas du NNL, il se voit désormais contraint de rivaliser, pour la plupart de ses attributions, avec la chaîne d’approvisionnement du nucléaire civil. Il y a de plus de nombreux domaines de la politique nucléaire dans lesquels le gouvernement n’a pas accès à des conseils scientifiques suffisamment précis et impartiaux, nécessaires à la prise de décisions adéquates.

De surcroît, dans certains cas, la prise de décision gouvernementale en termes de politique ou stratégie relève de l’attribution de plusieurs ministères, de telle sorte qu’il devient relativement imprécis de savoir qui détient les connaissances scientifiques et techniques et l’accès aux infrastructures clés.

Il est important de souligner l’importance de la qualité et de l’impartialité des conseils scientifiques et services associés dans un vaste éventail de politiques gouvernementales. Tous les principaux ministères ont des conseillers scientifiques, et c’est leur rôle d’articuler et de clarifier cette stratégie. La question est de savoir si leurs contributions sont suffisamment au premier plan et si les leçons apprises dans un ministère sont partagées avec les autres, de façon à ce que les modèles de bonnes pratiques soient facilement adoptés.

Implications décisionnelles

Quel est le moyen le plus efficace d’obtenir les services scientifiques/techniques nécessaires à la prise de décisions du gouvernement ?

Dans certains cas, les conseils, expertises ou autres services sont d’ores et déjà présents sur le marché, comme par exemple les services de tests médico-légaux. Lorsque, en revanche, ces services ou conseils n’existent pas, le gouvernement doit intervenir et développer les compétences requises. A cette fin, le gouvernement doit avoir une bonne connaissance des marchés d’approvisionnement, et les marchés n’étant pas statiques, il convient de les analyser régulièrement afin de détecter les tendances et éventuellement développer de nouveaux marchés, bénéficiant aux transferts de technologies et à la croissance économique.

Tout autre élément à part, les organismes entièrement privatisés ont beaucoup moins de contraintes que les établissements du secteur public, et sont par conséquent plus à même de réussir dans un environnement nécessitant une réactivité et une adaptabilité constantes. Si des mécanismes ont été mis en place au sein des GOGO pour permettre cette souplesse, l’étude montre que ceux-ci font toujours face à des contraintes opérationnelles significatives. Certains PSRE, notamment le Dstl ou AWE, doivent cependant, de par leurs attributions, continuer à être gérés par le gouvernement.

Conclusions

A l’heure où le gouvernement de coalition est confronté à des coupes budgétaires sans précédent, la question du statut des PSRE est plus que jamais d’actualité. Cette étude démontre que la sous-traitance ou la privatisation des établissements de recherche du secteur public est à même d’apporter des bénéfices économiques considérables, de générer des emplois et de promouvoir l’exploitation commerciale des produits/services issus de la R&D. Dans le climat économique actuel, l’auteur de cette étude est de l’avis qu’il incombe au gouvernement de prendre les décisions adéquates afin de rentabiliser au maximum ses investissements dans le secteur de la recherche. La question ne devrait pas être "pourquoi cette organisation doit être privatisée/sous-traitée ?" mais plutôt "pourquoi cette organisation doit être gérée par le gouvernement ?" Il est par exemple difficile de concevoir que trois agences exécutives du Defra (AHVLA, Cefas et Fera) demeurent des GOGO alors qu’elles pourraient aisément être sous-traitées, partiellement ou intégralement privatisées, tout en étant plus rentables. De plus, certains PSRE ont des attributions scientifiques similaires, et il pourrait être envisagé de mettre en place un service commun de partage d’expertises ou de compétences.

Si cette étude est entièrement consacrée aux PSRE, l’auteur explique que les résultats de cette analyse sont transposables à la gestion des établissements de recherche sous l’égide des conseils de recherche, ainsi que, potentiellement, d’autres institutions du secteur public.

Ce rapport a été rendu public en novembre 2011 et Miriam Frankel, de Research Fortnight, a recueilli les réactions de certaines organisations directement concernées par cette étude. Ainsi Bob Watson, conseiller scientifique en chef du Defra, pense que rentabiliser le rapport qualité/prix est une chose, mais que l’acceptation par le public en est une autre. Chris Gaskell, ancien président du conseil consultatif scientifique du Defra et membre du conseil d’administration du laboratoire pour la santé animale et vétérinaire, soutient que ce genre de décision (privatisation ou non) doit être considéré au cas par cas. Enfin, Andrew Miller, président travailliste de la House of Commons Science and Technology Select Committee, n’est pas d’accord avec les conclusions du rapport . "Il y a quelque chose de bon à libérer la recherche des contraintes du gouvernement... mais cela ne signifie pas que tout laboratoire gouvernemental est une mauvaise chose".


Sources :
- Getting better value from public sector research establishments, Quentin Maxwell-Jackson, CentreForum, novembre 2011
- Research labs : is more privatisation coming ?, Miriam Frankel, Research Fortnight, issue 380, novembre 2011


Auteur : Dr Maggy Heintz

publié le 26/01/2012

haut de la page