"Power to the people"

Steve Holliday, directeur général de l’entreprise National Grid et fellow de la Royal Academy of Engineering a donné le 1er mars 2011, à l’invitation de cette société savante, une conférence intitulée "Power to the people". Il y a décrit sa vision des évolutions que les modes de production, de transport et de distribution de l’énergie au Royaume-Uni suivront à l’avenir.

Le système énergétique britannique se trouve à un tournant. Face à des défis tels que la lutte contre le changement climatique et la diminution de l’empreinte carbone du pays, la sécurité de l’approvisionnement ainsi que des infrastructures vieillissantes appelées à être remplacées à l’horizon d’une vingtaine d’années, il est impératif de modifier en profondeur la façon dont le pays produit, transporte et consomme de l’énergie. L’importance de cet enjeu est soulignée par le fait que l’approvisionnement en énergie est crucial pour les entreprises comme pour les particuliers, mais aussi par l’opportunité que représente, en termes d’emplois et de croissance économique, le développement d’un secteur industriel sobre en carbone.

De par sa position privilégiée au coeur du système, à l’interface entre les consommateurs, les producteurs et les distributeurs d’énergie, National Grid sera concernée au premier chef par les développements futurs. De surcroît, son implication dans les réseaux d’électricité et de gaz procure à l’entreprise une approche relativement globale du secteur de l’énergie, qui renforce la pertinence de l’intervention de Steve Holliday devant le public nombreux, composé d’industriels, d’universitaires et de membres des administrations britanniques. Au cours de son allocution, il a évoqué les nouveaux modes de production, de consommation, et les facteurs de succès dans la création d’un système énergétique moderne, fiable et pourvoyeur de croissance.

1. De nouveaux modes de production

L’adoption d’objectifs légalement contraignants pour la réduction des émissions de gaz à effet de serre implique forcément un changement dans la production d’électricité au Royaume-Uni, qui repose aujourd’hui essentiellement sur le charbon et le gaz naturel (pour respectivement 32 et 36% de la production d’électricité). Il s’agit du principal moteur de mise en place de nouveaux modes de production, mais le vieillissement des infrastructures est également un facteur non négligeable, puisque la moitié de la capacité de production du pays devra être remplacée d’ici à 2030.

L’une des voies privilégiées par le Royaume-Uni est de miser massivement sur le développement de l’éolien offshore. Du point de vue du gestionnaire du réseau électrique qu’est National Grid, le défi majeur associé à cette forte poussée attendue est le régime de connexion des fermes aux installations terrestres. La solution préconisée est de passer d’un état où chaque ferme est reliée directement au réseau à un modèle plus efficace et moins coûteux où les fermes sont connectées entre elles. Le nombre réduit de points de connexion sur les côtes diminuerait les coûts, mais aussi l’empreinte environnementale du système.

La mise en place de tarifs de rachats majorés de l’électricité générée par des installations de petite taille à partir de sources renouvelables (Feed-in-Tariffs) devrait entraîner une augmentation de la part de l’énergie produite de manière locale. Le réseau électrique devra donc être revu en conséquence : il faudra non seulement qu’il soit capable de gérer des flux d’énergie bidirectionnels, mais il devra aussi changer de configuration et passer d’un réseau conçu au début du XXème siècle pour amener l’énergie depuis les Midlands (the ring of coal, la ceinture du charbon) principalement vers le Sud à un modèle permettant à l’électricité d’être transportée dans toutes les directions à travers le pays.

Quelle que soit l’ampleur des évolutions sur le front de l’énergie électrique, la place du gaz dans le futur restera, selon les prévisions de National Grid, tout à fait cruciale. La pénétration des énergies renouvelables devra, en effet, être impérativement associée au maintien d’une capacité de production d’électricité de base dans laquelle les centrales au gaz ont un rôle à jouer.

2. De nouvelles façons de consommer

Si les moyens utilisés pour produire de l’énergie sont dans une dynamique de changement très forte, il convient de ne pas négliger les aspects de demande et de consommation, sur lesquels des actions peuvent et doivent être mises en oeuvre pour que le Royaume-Uni dispose d’un système énergétique fiable, sûr, sobre en carbone, et fournissant des prestations abordables aux consommateurs.

Sur ce point, les prévisions vont dans le sens d’une hausse de la demande en électricité, principalement en raison de l’électrification partielle des transports et des systèmes de chauffage. Il est donc nécessaire d’accorder une importance toute particulière au réseau électrique qui devra supporter cette augmentation, et de limiter, autant que faire ce peut, la hausse de la consommation d’électricité en agissant sur le comportement des consommateurs.

Cependant, le réseau de distribution de gaz destiné à chauffer les habitations a encore de beaux jours devant lui, puisque 80% des résidences sont chauffées par ce biais actuellement, et qu’environ 95% du parc immobilier actuel devrait être encore utilisé en 2050. D’après les chiffres fournis par National Grid, mettre en place le chauffage électrique dans toutes les habitations britanniques est tout simplement impossible : il faudrait construire 45 nouvelles centrales nucléaires d’une capacité 3 GW chacune, ou bien 30.000 éoliennes de 5 MW ! Le réseau de gaz domestique n’est donc pas près de disparaître. L’un des grands défis à relever reste d’abaisser l’empreinte carbone du cycle d’utilisation du gaz, par exemple en utilisant plus largement du gaz issu de la biomasse. L’autre problème posé est celui du tarif des prestations lié au cours du gaz naturel sur les marchés des changes, puisque les gisements d’hydrocarbures britanniques sont en voie d’épuisement, et qu’en 2010, 15% de la consommation du Royaume-Uni a été importée. Les projections évoquées prévoient une évolution à la hausse de cette part sur la prochaine décennie, jusqu’à 80% en 2020.

Selon Steve Holliday, il faut se pencher sur l’efficacité énergétique, et sur le rôle qu’ont à jouer des réseaux électriques "intelligents" pour que les consommateurs puissent, à leur niveau, gérer au mieux leur consommation. Cependant, le directeur général de National Grid nuance la nécessité d’utiliser dès maintenant de tels dispositifs, mettant en avant le fait que ceux-ci s’avèreront bien plus utiles lorsque la pénétration des énergies renouvelables sera plus grande et que des besoins nouveaux, comme celui de charger son véhicule électrique, seront apparus. Il explique également que ce sont les réseaux de distribution (du compteur jusqu’aux appareils électriques) qui ont besoin de devenir plus "intelligents", car les réseaux de transmission, en amont, bénéficient déjà du concours des technologies de l’information et de la communication dans le contrôle des signaux, de la température, etc.

Enfin, Steve Holliday a même été jusqu’à évoquer la création de nouveaux types de contrat de fourniture d’électricité, proposant des coûts réduits en échange de courtes plages de coupures d’électricité prévues à l’avance (quelques minutes pendant la journée de travail par exemple).

3. Les facteurs de succès

Du point de vue du directeur de National Grid, la création du système énergétique moderne dont le Royaume-Uni a besoin repose sur trois piliers :
- le développement de nouvelles technologies, particulièrement dans les domaines du stockage et du transport de l’électricité ;
- des garanties réglementaires et politiques, de manière à créer l’environnement adéquat pour les investissements privés dans les technologies bas carbone au Royaume-Uni ;
- le système de formation des ingénieurs et techniciens, car les défis technologiques qui s’annoncent sont d’envergure et entraîneront la création de nombreux emplois (selon certaines prévisions, 58% des emplois créés au Royaume-Uni d’ici 2020 seront destinés à des personnels ayant reçu une formation relevant des sciences, des technologies ou des mathématiques).

Steve Holliday a conclu son intervention en faisant état de son optimisme, à la fois pour la réussite de la stratégie britannique en matière d’énergie et pour le devenir de son entreprise dont le rôle, déjà central, est appelé à s’affirmer dans les prochaines années. Il a également insisté sur la complexité des thématiques évoquées en soulignant le rôle de la société dans son ensemble. Finalement, il a convenu que sa présentation s’appuyait sur un scénario plausible pour les décennies à venir, mais que les incertitudes demeuraient importantes.

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National Grid

National Grid est une entreprise britannique impliquée dans les secteurs de l’électricité et du gaz. Elle est issue du démantèlement du Central Electricity Generating Board (conseil de la génération d’électricité centralisée), agence publique qui a disparu en 2001 et dont National Grid a été séparée en 1990. Cotée sur le London Stock Exchange (la Bourse de Londres) depuis 1995, il s’agit aujourd’hui de l’une des plus grandes entreprises du secteur énergétique entièrement détenue par des investisseurs. Elle est implantée au Royaume-Uni ainsi qu’aux Etats-Unis. Steve Holliday en est le directeur général depuis janvier 2007. National Grid est propriétaire des réseaux électriques à haute tension anglais et gallois, et gestionnaire du réseau électrique de toute la Grande-Bretagne. Elle y possède et gère également le réseau de transport de gaz à haute pression.

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The Royal Academy of Engineering

Institution fondée en 1976, la Royal Academy of Engineering rassemble des ingénieurs de tous les domaines dans le but de promouvoir l’excellence dans les sciences de l’ingénieur. Les priorités de l’organisation sont d’améliorer le potentiel britannique dans les sujets intéressant les ingénieurs, de susciter des vocations au sein des générations à venir, et d’être un lieu de débats destiné à influencer la définition des politiques publiques.


Sources :
- National Grid, http://www.nationalgrid.com/
- The Royal Academy of Engineering, http://www.raeng.org.uk/


Auteur : Joël Constant

publié le 16/05/2011

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